Allocution prononcée par le
Professeur Najib Zerouali Ouariti
Des
Cadres et de la Recherche Scientifique
Du
Royaume du Maroc
Prononcée
5 et 6
juillet 2000 – Marseille
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de m’exprimer devant vous aujourd’hui, à l’occasion des assises de la Méditerranée de l’an 2000. Ces assises sont la première manifestation sous la présidence française de l’Union Européenne et se tiennent dans la plus méditerranéenne des grandes villes françaises. Ceci est un témoignage de l’intérêt que vous portez à l’avenir des pays du bassin méditerranéen et particulièrment au Royame du Maroc que j’ai le plaisir de représenter ici parmi vous, pour vous parler des défis et enjeux de la Méditerranée à l’orée du nouveau millénaire.
Avant d’entamer ma
communication, je voudrais exprimer mes vifs remerciements à Monsieur le Maire
de la ville de Marseille à l’Académie de
la Méditerranée, et a tous les organisateurs et promoteurs de cette
manifestation pour le travail exceptionnel qu’ils ont réalisé. C’est grâce à
leurs efforts conjugués que nous nous trouvons aujourd’hui pour travailler,
échanger et débattre dans de si bonnes conditions et avec la présence
d’éminentes personnalités.
Mesdames et Messieurs,
La Méditerranée est-il
besoin de le rappeler, a été le berceau de quelques-unes des plus prestigieuses
civilisations de l’histoire de l’univers. Elle a vu naître des religions qui se
sont répandues à travers le monde entier. Elle a vu naître aussi la démocratie,
qui devient de plus en plus un système
de gouvernement auquel aspirent toutes le nations.
L’histoire de la
Méditerranée nous éveille, nous éclaire et nous fait rappeler les traverées de
cette Méditerranée tant tumultueuses
qu’enrichissante par le brassage des cultures et des hommes. Les romains non
sans raison l’intitulèrent MARE NOSTRUM (notre mer). D’autres traces illustrent
l’importance de cette Méditerranée chérie par les stratèges : multitude
des peuples s’y ancrent : phéniciens, romains espagnol, arabes…
Feu SA MAJESTE HASSAN
II, en grand connaisseur de l’histoire de la Méditerranée, n’avait-il pas
rappelé à maintes reprises que « sur les rives de la Méditerranée, des
civilisations et cultures humaines se sont, en effet, développées et des
relations internationales exemplaires se sont forgées. Il a également constitué
un espace pour les échanges commerciaux et culturels, fondés sur la coexistence
aux plan culturel, confessionnel et civilisationnel qui a permis l’exercise par
ses peuples, individus et groupes de leurs droits humains. ».
Mais la Méditerranée se
trouve être aussi de nos jours une zone de fortes turbulances. Ces dernières
sont dues notamment, aux conflits majeurs qui hantent encore les dirigeants de
la Planète (Proche Orient, Balkans, …), mais aussi aux problèmes constituent
sans nul doute des défis majeurs à relever par les pays du pourtour
méditerranéen, notamment ceux de la rive Sud, pour se mettre à niveau et
assurer un développement pérenne de ses peuples.
Mesdames et Messieurs,
Actuellement, le bassin
méditerranéen se présente comme une région marquée par de nombreuses disparités
qui continuent de croître à un rythme inquiétant. La première disparité est
d’ordre économique. En effet, les pays du sud méditerranéen souffrent d’un
manque d’accumulation du capital. Or, la majorité de ces pays sont liés à
l’Europe par des accords bilatéraux ou multilatéraux et entretiennent
relativement peu de relations commerciales entre eux. Il existe donc un réel
danger de voir apparaître une situation où les investissements seraient
détournés des pays de la rive sud.
Certes, plusieurs pays
du sud de la Méditerranée ont signé – d’autres sont sur le point de le faire –
un accord de Libre-échange avec l’Union Européenne qui prévoit le démantèlement
de barrières tarifaires sur le moyen terme (10 à 12 ans). Une logique de
partenariat est entrain de prendre le pas sur la logique de l’assistance. Mais,
les effets attendus du Partenariat Euro- Méditerranéen ne saurient se limiter
aux gains résultats d’une simple réduction des tarifs douaniers. La clé du
succès réside davantage dans les effets dynamiques et potentiels, à la fois,
sur le développement industriel, les transferts de technologie et
l’investissement. Des réformes internes sont donc nécessaires pour poursuivre
l’effort de stabilisation macro-économique et améliorer l'’nvironnement des
affaires.
Sur ce plan, ce ne sont
pas les défis qui risquent de manquer en ce début de millénaire.
L’environnement devient en effet chaque jour plus difficile à maîtriser pour
les entreprises de tout bord, confrontées à une cuncurrance de plus en plus
rude et à une économie de plus en plus mondialisée.
D’ailleurs les
méga-fusions n’ont jamais été aussi nombreuses qu’aujourd’hui, et la tendance
ne fait que s’accentuer au fil du temps. L’heure est à la restructuration et au redéploiement
tant national qu’international. Les Etats sud-méditerranéens n’ont pas échappé
à cette mutation, au contraire ils doivent la subir, la faciliter et
accompagner les différents operateurs dans leur adaption.
Dans cet esprit les
pouvoirs publics sont appelés à agir non seulement en tant que garants des
équilibres et de l’intérêt général, mais aussi en assurant transparence,
crédibilité, et visibilité à la politique économique. Dans ce contexte les
maîtres mots deviennent alors : Qualité – Compétitivité – Innovation –
Stratégie.
Nous vivons aujourd’hui
une ère de communication globale, les scientifiques et les penseurs ont réalisé
ce que depuis longtemps les militaires et les hommes d’Etat ont tenté d’établir
sans y parvenir : l’empire global. L’économie du savoir joue aujourd’hui
un rôle fondamental dans les interactions internationales et dans la
structuration des réseaux des firmes transnationales. Les technologies de la
communication matérialisées par l’Internet, la téléphonie mobile, les réseaux
satélitaires et, pour demain si ce n’est déjà aujourd’hui, la visiophonie
mobile traduisent un rapport autre à l’égard du temps et de l’espace, de la
productivité et des valeurs, de l’identité et de la spécificité.
Autant de données, et
d’avancées dont nous avons du mal à analyser les tenants et les aboutissants.
Mais, la certitude est que ces incursions technologiques attisent les
frustrations et les fractures et appellent davantage de vigilance de la part
des décideurs.
La formation,
l’information et la mise à niveau deviennent primordiales pour que les
entreprises sud-méditerranéenes puissent rattraper leur retard et réagir à
temps pour la réalisation d’une croissance durable et la création d’emplois
productifs. Même s’il est parfois risqué et douloureux, le changement de cap
s’impose à nos entreprises de fait.
De la rive sud de la
Méditerranée nous sommes parfaitement conscients des enjeux et des défis en
termes de mise à niveau de notre administration, de notre tissu économique, de
notre législation et de notre système d’enseignement.
En tant que Ministre en
charge du dossier de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique,
je dois vous dire que tout est mis en oeuvre pour faire en sorte que notre
système d’enseignement puisse être au rendez-vous des exigences d’un
partenariat conséquent avec nos amis de la rive Nord de la Méditerranée. Le
facteur humain, pour nous, est au centre de la problématique de cette mise à
niveau. Il n’y aura pas de compétitivité sans hommes et femmes à même de la
traduire dans la réalité. La réforme de l’entreprise et de la recherche
scientifique revêt une importance primordiale dans la mesure où des ressources
humaines qualifiées ainsi que des structures de recherches performantes
constituent aujourd’hui une condition sine qua non d’une compétitivité efficace
de l’économie.
La recherche
scientifique doit contribuer efficacement au processus de changement de notre
pays. Elle doit répondre aux exigences de l’amélioration, la maîtrise et
l’adaptation de la technologie, et le rayonnement scientifique et culturel des
connaissances. Le secteur de la recherche doit inciter le développement
économique et social en stimulant la productivité et la competitivité des
entreprises.
La réalisation de ces
objectifs n’est pas toujours simple car cela exige, souvent des efforts hors de
portée, eu égard à nos capacités financières et à nos ambitions dans ce
domaine.
Notre réforme de
l’enseignement est d’ores et déjà entamé, des commissions auxquelles adhèrent
les différents partenaires sont en train de finaliser et mettre les dernières
retouches à cette réforme dont les maîtres mots sont : le partenariat, la
responsabilité, l’efficacité, l’ouverture, et l’ évaluation.
Notre grand objectif
dans ce sens est la consolidation d’un enseignement de qualité intégrant à la
fois notre réalité locale, les acquis scientifiques et les valeurs universelles
que nous partageons et qui font de l’université, un cadre de dialogue et
d’ouverture d’esprit.
La déclaration de
politique générale du gouvernement marocain de mars 1998, est, dans ce cas,
sans équivoque. Permettez-moi d’en rapporter ici un des passages « Le
Maroc est plus que jamais condamné à s’adapter à s’ouvrir à la nouvelle société
émergente de l’information et du savoir, à se positionner dans les nouvelles
technologies et créneaux économiques, et à s’imprégner des idées et valeurs
universelles. Mais notre pays doit opérer ces mutations en sauvegardant et en
valorisant les fondements culturels et civilisationnels qui ont forgé, à
travers les siècles, son identité, façonnée par les apports successifs des civilisations amazigh,
arabe et africaine, cimentée par les valeurs spirituelles et morales de l’Islam
dont l’humanisme enseigne la tolérance, le respect de l’autre, la solidarité,
le sens de l’effort et l’aspiration au progrès. ». En outre, dans cette même
déclaration gouvernamentale, la relation du Maroc avec l’UE vient « au
premier rang » des préoccupations de notre gouvernement.
Mesdames et Messieurs,
La population
méditerranéenne sera de l’ordre de 600 Millions d’habitants en l’an 2025. Le
taux de croissance démographique étant beaucoup plus important au Sud qu’au
Nord, ces derniers habiteront pour les deux tiers la rive sud. Or, les
différences culturelles, faute d’un dialogue civilisationnel, ont engendré,
c’est le moins que l’on puisse dire, un climat d’incompréhension et de
malentendu. Dés lors, on se demande si la fin de la logique des Blocs va
laisser place à une perspective de maîtres des tensions et de rapprochement
entre les deux rives ou à l’inverse ouvrire la voie à une période de tension
dans la règion.
L’Europe ne cherchera
t-elle pas dans ce cas à ériger « un nouveau rideau de fer » et une
sorte de ceinture de sécurité pour contenir le flot humain provenant de
l’immigration et des menaces en provenance du sud. La rive Nord qui évolue vers
une plus grande cohésion socio-économique et politique n’aura t-elle pas
tendance à percevoir les pays du sud comme une source de danger ou de
menace ?
Pour éviter cette
fracture et assurer la stabilité de la région, la volonté d’aller de l’avant
des riverains des pays du Nord comme du Sud est indispensable. C’est dans la
recherche des bases objectives d’une telle volonté qu’il convient d’engager la
réflexion, celle-ci doit être appréhendée dans un cadre global et élargi à la
coopération et au développement.
En effet, ce que les
pays européens considèrent comme des menaces sont des problèms
socio-économiques et démographiques sur lesquels peuvent se greffer des
situations d’instabilité politique et sécuritaire avec des retombés négatives
sur les pays environnants de l’Europe. S’il est vrai que le sous développement
et la démographie galopante du Sud génère un mouvement migratoires de l’Est
vers l’Ouest demeurent de loin plus importants, il est tout aussi vrai que ce
type de problème ne peut être traité de manière efficace que par la mise en
place d’un vrai partenariat et la promotion d’une coopération multiforme.
Au-delà des visions
propres à chaque ensemble, l’avenir des relations euro- méditerranéennes sera
déterminé par les profondes mutations régionales et internationales qui ont
cours actuellement. L’enjeu fondamental consiste à doter ces relations d’une
vision stratégique pour créer un espace de complémentarité, de coopeération,
non de confrontation et de tension. Certes, l’Union Européenne fait face à un
double défi, celui de son propre devenir et celui de l’intégration des régions
péripheriques. Cependant, l’attention portée aux ex-pays de l’Est ne doit pas
faire oublier la frontière sud, qui elle aussi, et dans une large part,
détermine sa sécurité, sa dynamique interne et sa place comme l’un des trois
pôles dominants de l’économie mondiale.
Ainsi, la situation
géographique et les intérêts stratégiques font que les Européens ne peuvent se
désintéresser du sort de leurs voisins du sud. La prospérité de l’Europe ne
saurait en effet être assurée sans une croissance économique des pays du Sud.
En dépit de toutes les difficultés auxquelles ils font face, ces derniers,
peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion d’un dialogue et d’un
partenariat indispensable à la région.
C’est pourquoi, les deux
ensembles doivent mettre au point une politique de développement des pays Sud
méditerranéens dans laquelle les pays européens essentiellement
s’impliqueraient davantage avec pour objectifs :
·
D’aider ces pays à réduire les
distorsions et les inégalités flagrantes qui sont à l’origine des flux
migratoires, même si l’espace « Schengen » vient de réduire encore
considérablement les mouvements transfrontaliers y compris d’hommes
d’affaires ;
·
De prévenir les malentendus
inteculturels en combattant la montée des extrémismes dans les deux rives,
source de perceptions négatives. Pour cela, il est important de résorber le
déficit en communication à l’origine dans une large mesure de ces malentendus.
En somme, il s’agit de repenser, définir et développer un modèle nouveau de
relations dans l’ensemble de la région méditerranéenne, un ordre méditerranéen
appelé à apporter la stabilité et la prospérité tout en soutenant les processus
démocratiques, les réformes économiques et le développement des pays riverains.
Mesdames et Messieurs,
En évocant les défis de
la Méditerranée, et notamment pour sa partie sud, on ne peut pas passer sous
silence quelques faits incontournables, qui menacent sérieusement la stabilité
régionale.
On assiste, en matière
d’urbanisation, à un basculement du monde rural vers le monde urbain plus de
55% au Maghreb actuellement contre seulement 35% il y a quinze ans), une
agriculture intensive accompagnée d’une forte exploitation des sols, un
tourisme de masse, autant de facteurs qui posent de nombreux problèms pour la
gestion des ressources naturelles du littoral. Cela s’accompagne par la
dégradation des sols avec des effets bien connus à cet égard, comme la
déforestation, la surexploitation et la désertification. Par ailleurs,
l’épuisement des ressources en eau est un autre problème et d’aucuns
s’accordent à prédire que les prochains conflits ne seront pas des conflits de
civilisation, mais probablement des conflits pour l’eau. A cet égard, un certain
nombre d’indices sérieux nous sont donnés par l’actualité au Moyen Orient.
Il y a également les
questions liées à la pollution des eaux, fluviales et marines, celle de l’air
et tous les dangers dus à l’intensification du trafic maritime avec son cortège
de pollution paf hydrocarbures et par les substances chimiques. Il faut savoir
qu’à cet instant, en temps réel, 2000 navires environ circulent en Méditerranée
dont deux à trois cents sont des pétroliers.
Pour faire face à tous
ces problèmes à la fois, il faut reconnaître que nos sociétés et nos régions
sont incapables à elles seules de dégager une dynamique capable de renverser
cette tendence et de résoudre les problèmes posés. D’un autre côté, la
politique basée sur le sécuritaire essentiellement prônée par certains pays
européens ne suffit pas.
Pour le Sud, nous
pensons autrement. En effet, seule une concertation élargie à tous les pays
riverains du bassin Méditerranéen peut apporter des réponses et mettre sur pier
un cadre de régulation des crises. Dans cette optique, il faut faire valoir une
approche de Partenariat et de Co-Développement plutôt qu’une approche basée sur
l’aspect sécuritaire et l’assistance tout cours.
La déclaration de
Barcelone du milieu des années quatre-vingt dix est venue consacrer la volonté
pour davantage de rapprochement, de coopération et de solidarité. Nous sommes
autant fiers qu’exigeants à l’égard de la charte de sécurité et partielle. Nous
la voulons un cadre de coopération et de rapprochement hors des égoïsmes
nationaux et régionaux.
Je ne trouverai pas
mieux que ces quelques phrases prononcées par Sa Majesté Le Roi Mohamed VI,
lors d’une interview donnée dernièrement au « Time », je cite :
« Nous ne voulons
pas que l’Europe nous assiste. Nous ne voulons pas que l’Europe nous fasse
l’aumône. Tout ce que nous demandons, c’est que l’Europe nous traite en vrai
partenaire. Tant que le Maroc n’aura pas perçu cette volonté, il en résultera
un malaise et d’autres efforts pour une vision différente de nos relations
seront nécessaires. Trop souvent encore quand les pays de la rive Nord de la
Méditerranée regardent dans notre direction, ils y voient une menace
potentielle. Il y eu, certes, des événements qui peuvent expliquer cette
inquiétude et il en a résulté un malentendu qui perdure. Il nous faut rassurer
l’Europe. Les centaines de milliers de marocains qui y travaillent en paix ne
peuvent pas être associés à la violence et au terrorisme. En fait, les
occidentaux cèdent facilement à cette fascination de la haine. Cette mentalité
doit disparaître et je crois que nous sommes tous en train de nous
réajuster .»fin de citation.
Mesdames et Messieurs,
En guise de conclusion,
je dirai que le monde, est devenu maintenant un village. Et, nous savons que
pour défendre la village, la population se met en cercle sur la place centrale.
Cette place centrale n’est autre que la Méditerranée.
Aussi, je dirai que la
crise actuelle est plutôt une crise d’identité et d’ignorance réciproque des
uns et des autres. Apprenons à nous connaître et à connaître nos cultures
respectives, notre réussite en dépend et l’avenir des générations futures
aussi. Tirons les enseignements de notre passé commun.
« Le bassin
méditerranéen est promis à être le milleur creuset pour le dialogue sérieux et
la coopération fructueuse » disait, à juste titre, Feu SA MAJESTE LE ROI
HASSAN II que dieu l’est en sa sainte miséricorde.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite plein succès dans vos travaux.