Les défis et les enjeux de la Méditerranée à l’orée du XXIe siècle et du nouveau millénaire

 

L’arc méditerranéen latin

 

Andreu Claret, directeur général de l’Institut Català de la Mediterrània

 

Emercenge d’espaces transfrontaliers

 

Les changements observés en Europe en matière d’intégration économique permettent l’émergence de nouveaux espaces dans le cadre du marché mondial. C’est précisément en Méditerranée latine que certains experts situent l’émergence d’espaces transrégionaux potentiels qui s’étaient jusqu’alors tourné le dos : des espaces transfrontaliers comme l’occitano-catalan ; des espaces géographico-économiques comme les axes de développement fluviaux méditerranéens de l’Èbre, du Rhône et du Pô ; ou encore les espaces insulaires (Baléares, Corse, Sardaigne et Sicilie), qui pourraient former un archipel d’intérêts communs en Méditerranée occidentale. La région méditerranéenne occidentale deviendrait le deuxième grand axe de développement, du nord de l’Italie au Levant espagnol, en passant par les zones dynamiques du sud de la France.

Partant de ce constant, l’Union européenne a dressé pour la première fois une liste d’ensembles transrégionaux, parmi lesquels la Méditerranée nord-occidentale. La Méditerranée en général, et la Méditerranée latine en particulier, constituent un laboratoire intéressant pour les dynamiques et synergies supranationales et transrégionales dans l’actuel processus de mondialisation et de régionalisation. Pour les acteurs régionaux et locaux, qui accueillent favorablement cette réalité, l’intérêt de la nouvelle géographie européenne s’interprète comme une forme de marketing territorial.

 

Dans ce contexte, force est de constater que l’arc latin n’est pas une réalité homogène, mais un espace extrêmement varié. Néamoins, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un ensemble de points communs qui assurent sa cohésion et le distingue du nord de l’Europe.

Le cadre dessiné par l’espace méditerranéen latin sert ainsi à se situer dans un marché plus large, au sein d’un « espace en expansion », ce qui permet d’attirer les investissements et des activités extérieures. C’est une stratégie semblable à celle d’un lobby, par l’intermédiaire  duquel divers groupes d’acteurs locaux et d’agents économiques exposent leurs problèmes et présentent leurs réclamations conjointement. En même temps, dans le cas de l’arc latin, il est fait la promotion d’une image de haute qualité de vie bénéfique pour le dynamisme économique et les investissements. Ce réseau fonctionne sur la base d’une forte interdépendence, où la région constitue un premier niveau de coordination et de regroupement essentiel pour les économies locales et les différents acteurs institutionnels.

 

 

 

 

Le points communs de l’espace méditerranéen latin

 

Ce processus obligera les régions du sud de l’Europe à exploiter toujours davantage leurs points communs, leurs synergies et leurs possibilités de collaboration, notamment dans les domaines du tourisme, de l’environnement, de l’eau, des transports, de l’information, de la communication et des systèmes portuaires. Il sera ainsi possible de tirer parti de la localisation méditerranéenne qui, dans la perspective d’une zone de libre-échange, deviendrait un espace régional d’interconnexion vers l’ensemble méditerranéen.

L’espace méditerranéen latin doit être compris à partir des enjeux propres à l’environnement global dans lequel il s’inscrit et des atouts que celui-ci lui offre. Les communications et les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent aujourd’hui de surmonter des écueils jusqu’alors insurmontables. De fait, les changements qui marqueront l’espace européen au cours des années à venir seront déterminants et pourront faire pencher la balance soit en faveur de ces territoires soit en leur défaveur.

La question est de savoir pourquoi certains régions prospèrent et d’autres non ; et pourquoi les politiques traditionnelles n’apportent pas de réponse précise. Les analyses et les études réalisées ont mis en lumière deux facteurs susceptibles d’exercer une influence sur le  développement des régions européennes et également sur leur intégration transfrontalière : et le degré d’ouverture sur l’extérieur apporté par ces espaces, décisif pour susciter ou refouler différentes dynamiques. Certains auteurs soulignent ainsi que l’actuelle logique économique internationale est présidée par quatre facteurs, dits « les quatre i » : industrie, investissements, individus et information. Un espace territorial sera perçu comme un pôle économique dynamique capable d’étendre son influence si ces facteurs sont réunis.

D’un point de vue relationnel et d’organisation, l’espace euroméditerranéenne apparaît ainsi comme un lieu d’organisation et de regroupement territorial d’acteurs économiques, sociaux, culturels et politiques, mais aussi de ressources immatérielles, capables, grâce aux interactions dynamiques, de développer des compétences, un savoir-faire et des activités productives d’une manière énergique, innovatrice et durable. La capacité d’absorption et d’adaptation de nos cultures d’entreprise à d’autres cultures et modèles d’organisation sera fonction de leur degré d’ouverture.

Les activités économiques et les décisions stratégiques ne peuvent être dissociées de l’entreprise.

La configuration de la culture d’entreprise de la Méditerranée latine fait apparaître une série de traits communs (à des degrés divers) au sein de la dynamique des entreprises de cette région : prédominance des petits et moyennes entreprises, développement de l’entreprise familiale, prédominance du capital local dans l’industrie et dépense en R & D inférieure à celle des régions plus industrialisées d’Europe (applicable surtout aux régions italiennes et espagnoles).

 

Coopération et identité : facteurs clés de compétitivité  

 

La coopération entre les régions de l’arc méditerranéen est devenue un des ressorts de la compétitivité de la zone. Si une région européenne s’est vue favorisée par l’éclosion de structures de coopération transrégionale, c’est bien l’Europe du sud. En effet, au cours des dix dernières années, les actions communes engagées par les régions méridionales de l’UE leur ont permis, entre autres, d’accéder au financiement communautaire et de tirer profit de l’échange d’expériences et des complémentarités.

Les différentes initiatives de coopération multilatérale au niveau de la région méditerranéenne ont été menées à bien de manière progressive et continue. Il s’agit d’une dynamique récente. Nous pouvons ainsi situer aux années quatre-vingt-dix le point de départ de l’essentiel des efforts consentis en ce sens.

En règle générale, dans le champ de la Méditerranée occidentale, les accords de coopération visent tous à compenser la situation périphérique stratégique dont pâtissent les collectivités territoriales et à augmenter leur capacité à exercer une influence, tant au niveau national qu’au niveau communautaire. C’est pourquoi on observe une dynamique de coopération supérieure à celle d’autres régions européennes. Cette coopération a surtout été transfrontalière. Parmi les domaines les plus intéressants de coopération euroméditerranéenne, citons la technologie, les ports, l’eau, les universités et l’insularité.

Malgré tout, la coopération régionale avance lentement en Méditerranée. Très souvent, elle a donné naissance à des structures encore très faibles, fruit, entre autres, de volontés politiques très dissemblables. À cet égard, il y a lieu de rappeler le rôle important joué par les institutions supranationales et par les modèles territoriaux plus ou moins centralisés au niveau national. Il convient aussi de tenir compte du fait que ces initiatives de coopération pêchent souvent par un manque de vocation horizontale qui permettrait l’adhésion de la totalité de l’espace méditerranéen nord-occidental.

Le cadre européen favorise la formation d’ensemble transrégionaux qui influent sur la coopération entre régions dotèes de structures économiques et sociales semblables. C’est pourquoi un accroissement du poids des États au sein de l’Union européenne, qui ferait que les gouvernements centraux seraient plus que jamais les protagonistes du développement de l’Union, affaiblirait encore davantage ce processus de construction de la coopération transrégionale.

Le second facteur clé est la dynamique sociale et identitaire de cette zone. Les éléments socioculturels font sa spécificité et sont des facteurs de cohésion sociale. L’identité culturelle est un moyen d’actio ; elle donne le pouvoir de créer une identité méditerranéenne, une « image de marque » de cet espace latin permettant de promouvoir des politiques de croissance. L’identité culturelle doit être comprise comme le fruit d’un « bricolage » entre les identifications régionales et locales et le territoire national. Cela entraîne certes difficultés pour l’homogéneité de l’ensemble, mais cette identité peut en même temps constituer une ressource à moyen terme, car elle garantit une souplesse et une capacité d’adaptation face à une réalité toujours plus multiforme, des changements futurs et des tensions dans le système social, politique et économique.

À cet égard, il y a lieu de souligner des facteurs tels que la présence croissante d’immigrés. De ce fait, la mise en oeuvre de politiques d’intégration est devenue une stratégie nécessaire. Les mouvements migratoires sont symptomatiques des nouvelles tendances, qu’il s’agisse de professionnels ou de retraités du Nord à la recherche d’une meilleure qualité de vie ou des migrations africaines. Par ailleurs, les régions du Sud, confrontées à la crise du modèle de l’État providence, ont eu leur propre processus d’adaptation. La famille a joué, en l’espèce, un rôle fondamental d’amortisseur social face à des problèmes comme l’extension du   chômage des jeunes, et c’est le pivot autour duquel se sont développés des comportaments de transfert entre générations.

De nôtre point de vue, les cultures sont un des piliers de la competitivité. Tout en s’appuyant sur des racines solides, ancrées dans la tradition, elles peuvent jouer la carte de l’ouverture qui internationalise et valorise les particularismes et apporter ainsi des éléments de créativité.

 

Les DÉFIS de l’arc méditerranéen

 

Les régions de l’arc méditerranéen devront relever à brève échéance d’importants défis d’ordre géostratégiques :

 

L’euro

 

·        Les régions de la Méditerranée latine, qui ont déjà exploité l’effet de proximité à des fins commerciales, verront augmenter les échanges grâce à la monnaie unique. Ainsi, de l’avis des experts, les entreprises seront désormais en concurrence sur le marché européenn sans être gênées par les interférences des fluctuations du taux de change, et les échanges se concentront dans les régions les mieux situées sur le plan des conditions de travail et de la productivité.

Les entreprises et les activités seront donc attirées par les régions offrant les meilleures conditions de travail. Dans ce contexte, les régions de la Méditerranée latine pourront exploiter et renforcer leur principal atout, à savoir la qualité de vie et l’environnement. Cela étant, des occasions seront peut-être perdues si elles ne flexibilisent pas davantage leur marché du travail qui, en Espagne comme en Italie, dépend encore excessivement de l’économie souterraine.

Les régions de la Méditerranée latine ont tout à gagner à une harmonisation des politiques fiscales et sociales au sein de l’Union européenne, en vue de contrôler les déséquilibres macro-économiques et les divergences entre pays.

 

 

 

 

L’Agenda 2000

 

·        En ce qui concerne l’espace régional européen, des changements très importants pour certaines régions de la Méditerranée latine peuvent internvenir, surtout en ce qui concerne les critères d’élegibilité pour l’aide financière aux régions accordées par les fonds structurels et par le fonds de cohésion (Agenda 2000).
Il importe d’attirer l’attention sur deux éventualités : la diminution des apports aux régions traditionnellement bénéficiaires des fonds communautaires et la possibilité de voir se perpétuer (dans une plus ou moins grande mesure) le modèle de régions périphériques qui fondent leur convergence avec l’Europe sur les aides du Nord. Dans cette perspective, intimement liée à l’élargissement de l’Europe, les régions de l’espace euroméditerranéen doivent dès lors envisager la nécessité d’un développement endogène. Une telle stratégie exige, d’une part, que les transferts aux régions les moins favorisées ne se traduisent pas par une diminution de la capacité de croissance de plus avancées et, d’autre part, que l’effet d’entraînement des régions les mieux placées s’étende à toutes les autres, de manière à partager les synergies et les bénéficies dérivés du fait d’appartenir à un même espace. La structure des régions de l’espace latin donne un caractère méditerranéen à l’Union européenne et promet une période d’échange actif d’experiences tenant compte des modèles spécifiques de développement et de modernité promus depuis le sud de l’Europe. Les facteurs de la capacité de développement endogène existant dans les régions méditerranéennes, à savoir l’esprit d’entreprise et a la faculté d’adaptation aux nouvelles technologies et à de nouveaux modes d’organisation, sont les piliers du progrès économique dans une économie mondiale globalisée.

 

·        La coopération économique et sociale avec l’Afrique du Nord est cruciale, car c’est un facteur de compétitivité pour un espace comme l’arc méditerranéenne. Les migrations ont marqué une première phase des relations nord-sud en Méditerranée occidentale. La croissance démographique prévisible dans les pays du Maghreb et la volonté d’isolement ancrée dans certains secteurs des sociétés de la Méditerranée latine porte d’entrée naturelle vers l’Europe) peuvent néanmoins retarder les initiatives de coopération. Un pacte de coopération entre les pays de la Méditerranée qui abordent conjointement les problèmes de la zone pourrait contribuer à briser cette tendance au repli des sociétés européennes.
La constitution de la zone de libre-échange ouvre de grandes potentialités en matière de relations commerciales, techniques et culturelles à’horizon 2010. Dans ce contexte, les régions de l’arc méditerranéen bénéficient d’une situation géographique privilégiée pour créer des liens avec les pays du Maghreb. De grandes espérances sont fondées sur la constitution de cette zone de libre-échange, dont on attend d’importants bienfaits, mais elle suscite aussi des préventions, car il pourrait y avoir un impact négatif sur certains secteurs particulièrement sensibles pour le sud de l’Europe. Il faut souligner toutefois qu’au sein de cette zone de libre-échange, malgré la proximité et l’actuelle ouverture économique des pays de la rive sud, certaines caractéristiques des entreprises méditerranéennes, ainsi que les conditions économiques, expliquent la faiblesse de l’activité dans cette région. Par ailleurs, les difficultés rencontrées par les pays du sud de la Méditerranée dans leur processus de modernisation et de libéralisation de l’économie ont constitué un obstacle au développement de la coopération économique et des activités des entreprises de la rive nord de la Méditerranée dans ces pays.
Un cadre d’intervention englobant la Méditerranée tout entière doit être le référent d’avenir des régions de l’espace latin. Le sud de l’Europe peut jouer un rôle décisif dans cet espace, surtout en tant que pôle d’attraction vers l’Europe et centre d’un réseau d’interrelations qui soit le lien entre l’Eurpe elle-même et l’espace méditerranéen. Dans cette optique, la coopération technologique sera fondamentale. Si les pays méditerranéens sont proches, les techonologies de l’information les rapprochent encore plus et ouvrent de nouvelles perspectives en matière de coopération.

Cependant, la Méditerranée ne constitue pas uniquement un marché ou une zone de libre-échange. Ce n’est pas non plus un musée, mais une réalité en marche, un espace d’échanges de toutes sortes (économiques, politiques techonologiques, artistiques, etc.) qui doivent lui permettre de réaffirmer ses spécificités et ses proprs modèles de développement, où la proximité géographique et culturelle est un plus et instaure un climat de confiance dans les liens établis.
L’espace méditerranéen latin est de toute évidence un espace interrégional qui unit l’ensemble des pays méditerranéens. Le succès ou la faillite de la politique méditerranéenne de l’Union dépendra dans une grande mesure de la capacité des régions d’Espagne, de France et d’Italie à travailler ensemble et de leur volonté d’agir en ce sens. L’esprit de la latinité peut constituer le fer de lance d’une Europe placée sous le signe de la diversité, d’une Europe qui doit impérativement constituer des pôles dynamiques et ouverts, susceptibles de s’intégrer dans des réseaux plus vastes.

À l’occasion du cinquième anniversaire de la Conférence de Barcelone, il importe de relancer la politique euroméditerranéenne, qui s’est vue ralentie ces dernières années. Je pense qu’il faut en profiter pour travailler à la consolidation de la politique méditerranéenne de l’Union européenne, concrètement à partir des accords adoptés dans le cadre du processus de Barcelone, en cherchant à associer davantage les collectivités territoriales et l’ensemble de la société civile à cette politique.