L’arc méditerranéen latin
Les changements observés en Europe en matière d’intégration économique permettent l’émergence de nouveaux espaces dans le cadre du marché mondial. C’est précisément en Méditerranée latine que certains experts situent l’émergence d’espaces transrégionaux potentiels qui s’étaient jusqu’alors tourné le dos : des espaces transfrontaliers comme l’occitano-catalan ; des espaces géographico-économiques comme les axes de développement fluviaux méditerranéens de l’Èbre, du Rhône et du Pô ; ou encore les espaces insulaires (Baléares, Corse, Sardaigne et Sicilie), qui pourraient former un archipel d’intérêts communs en Méditerranée occidentale. La région méditerranéenne occidentale deviendrait le deuxième grand axe de développement, du nord de l’Italie au Levant espagnol, en passant par les zones dynamiques du sud de la France.
Partant de ce constant, l’Union européenne a dressé pour la première fois une liste d’ensembles transrégionaux, parmi lesquels la Méditerranée nord-occidentale. La Méditerranée en général, et la Méditerranée latine en particulier, constituent un laboratoire intéressant pour les dynamiques et synergies supranationales et transrégionales dans l’actuel processus de mondialisation et de régionalisation. Pour les acteurs régionaux et locaux, qui accueillent favorablement cette réalité, l’intérêt de la nouvelle géographie européenne s’interprète comme une forme de marketing territorial.
Dans ce contexte, force est de constater que l’arc latin n’est pas une réalité homogène, mais un espace extrêmement varié. Néamoins, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un ensemble de points communs qui assurent sa cohésion et le distingue du nord de l’Europe.
Le cadre dessiné par l’espace méditerranéen latin sert ainsi à se situer dans un marché plus large, au sein d’un « espace en expansion », ce qui permet d’attirer les investissements et des activités extérieures. C’est une stratégie semblable à celle d’un lobby, par l’intermédiaire duquel divers groupes d’acteurs locaux et d’agents économiques exposent leurs problèmes et présentent leurs réclamations conjointement. En même temps, dans le cas de l’arc latin, il est fait la promotion d’une image de haute qualité de vie bénéfique pour le dynamisme économique et les investissements. Ce réseau fonctionne sur la base d’une forte interdépendence, où la région constitue un premier niveau de coordination et de regroupement essentiel pour les économies locales et les différents acteurs institutionnels.
Ce processus obligera les régions du sud de l’Europe à exploiter toujours davantage leurs points communs, leurs synergies et leurs possibilités de collaboration, notamment dans les domaines du tourisme, de l’environnement, de l’eau, des transports, de l’information, de la communication et des systèmes portuaires. Il sera ainsi possible de tirer parti de la localisation méditerranéenne qui, dans la perspective d’une zone de libre-échange, deviendrait un espace régional d’interconnexion vers l’ensemble méditerranéen.
L’espace méditerranéen
latin doit être compris à partir des enjeux propres à l’environnement global
dans lequel il s’inscrit et des atouts que celui-ci lui offre. Les
communications et les nouvelles technologies de l’information et de la
communication permettent aujourd’hui de surmonter des écueils jusqu’alors
insurmontables. De fait, les changements qui marqueront l’espace européen au
cours des années à venir seront déterminants et pourront faire pencher la
balance soit en faveur de ces territoires soit en leur défaveur.
La question est de
savoir pourquoi certains régions prospèrent et d’autres non ; et pourquoi
les politiques traditionnelles n’apportent pas de réponse précise. Les analyses
et les études réalisées ont mis en lumière deux facteurs susceptibles d’exercer
une influence sur le développement des
régions européennes et également sur leur intégration transfrontalière :
et le degré d’ouverture sur l’extérieur apporté par ces espaces, décisif pour
susciter ou refouler différentes dynamiques. Certains auteurs soulignent ainsi
que l’actuelle logique économique internationale est présidée par quatre
facteurs, dits « les quatre i » : industrie, investissements,
individus et information. Un espace territorial sera perçu comme un pôle
économique dynamique capable d’étendre son influence si ces facteurs sont
réunis.
D’un point de vue
relationnel et d’organisation, l’espace euroméditerranéenne apparaît ainsi
comme un lieu d’organisation et de regroupement territorial d’acteurs
économiques, sociaux, culturels et politiques, mais aussi de ressources
immatérielles, capables, grâce aux interactions dynamiques, de développer des
compétences, un savoir-faire et des activités productives d’une manière
énergique, innovatrice et durable. La capacité d’absorption et d’adaptation de
nos cultures d’entreprise à d’autres cultures et modèles d’organisation sera
fonction de leur degré d’ouverture.
Les activités
économiques et les décisions stratégiques ne peuvent être dissociées de
l’entreprise.
La configuration de la
culture d’entreprise de la Méditerranée latine fait apparaître une série de
traits communs (à des degrés divers) au sein de la dynamique des entreprises de
cette région : prédominance des petits et moyennes entreprises,
développement de l’entreprise familiale, prédominance du capital local dans
l’industrie et dépense en R & D inférieure à celle des régions plus
industrialisées d’Europe (applicable surtout aux régions italiennes et
espagnoles).
La coopération entre les régions de l’arc méditerranéen est devenue un des ressorts de la compétitivité de la zone. Si une région européenne s’est vue favorisée par l’éclosion de structures de coopération transrégionale, c’est bien l’Europe du sud. En effet, au cours des dix dernières années, les actions communes engagées par les régions méridionales de l’UE leur ont permis, entre autres, d’accéder au financiement communautaire et de tirer profit de l’échange d’expériences et des complémentarités.
Les différentes
initiatives de coopération multilatérale au niveau de la région méditerranéenne
ont été menées à bien de manière progressive et continue. Il s’agit d’une
dynamique récente. Nous pouvons ainsi situer aux années quatre-vingt-dix le
point de départ de l’essentiel des efforts consentis en ce sens.
En règle générale, dans
le champ de la Méditerranée occidentale, les accords de coopération visent tous
à compenser la situation périphérique stratégique dont pâtissent les
collectivités territoriales et à augmenter leur capacité à exercer une influence,
tant au niveau national qu’au niveau communautaire. C’est pourquoi on observe
une dynamique de coopération supérieure à celle d’autres régions européennes.
Cette coopération a surtout été transfrontalière. Parmi les domaines les plus
intéressants de coopération euroméditerranéenne, citons la technologie, les
ports, l’eau, les universités et l’insularité.
Malgré tout, la
coopération régionale avance lentement en Méditerranée. Très souvent, elle a
donné naissance à des structures encore très faibles, fruit, entre autres, de
volontés politiques très dissemblables. À cet égard, il y a lieu de rappeler le
rôle important joué par les institutions supranationales et par les modèles
territoriaux plus ou moins centralisés au niveau national. Il convient aussi de
tenir compte du fait que ces initiatives de coopération pêchent souvent par un
manque de vocation horizontale qui permettrait l’adhésion de la totalité de
l’espace méditerranéen nord-occidental.
Le cadre européen
favorise la formation d’ensemble transrégionaux qui influent sur la coopération
entre régions dotèes de structures économiques et sociales semblables. C’est
pourquoi un accroissement du poids des États au sein de l’Union européenne, qui
ferait que les gouvernements centraux seraient plus que jamais les
protagonistes du développement de l’Union, affaiblirait encore davantage ce
processus de construction de la coopération transrégionale.
Le second facteur clé
est la dynamique sociale et identitaire de cette zone. Les éléments
socioculturels font sa spécificité et sont des facteurs de cohésion sociale.
L’identité culturelle est un moyen d’actio ; elle donne le pouvoir de
créer une identité méditerranéenne, une « image de marque » de cet
espace latin permettant de promouvoir des politiques de croissance. L’identité
culturelle doit être comprise comme le fruit d’un « bricolage » entre
les identifications régionales et locales et le territoire national. Cela
entraîne certes difficultés pour l’homogéneité de l’ensemble, mais cette
identité peut en même temps constituer une ressource à moyen terme, car elle
garantit une souplesse et une capacité d’adaptation face à une réalité toujours
plus multiforme, des changements futurs et des tensions dans le système social,
politique et économique.
À cet égard, il y a lieu
de souligner des facteurs tels que la présence croissante d’immigrés. De ce
fait, la mise en oeuvre de politiques d’intégration est devenue une stratégie
nécessaire. Les mouvements migratoires sont symptomatiques des nouvelles
tendances, qu’il s’agisse de professionnels ou de retraités du Nord à la
recherche d’une meilleure qualité de vie ou des migrations africaines. Par
ailleurs, les régions du Sud, confrontées à la crise du modèle de l’État
providence, ont eu leur propre processus d’adaptation. La famille a joué, en
l’espèce, un rôle fondamental d’amortisseur social face à des problèmes comme
l’extension du chômage des jeunes, et
c’est le pivot autour duquel se sont développés des comportaments de transfert
entre générations.
De nôtre point de vue,
les cultures sont un des piliers de la competitivité. Tout en s’appuyant sur
des racines solides, ancrées dans la tradition, elles peuvent jouer la carte de
l’ouverture qui internationalise et valorise les particularismes et apporter
ainsi des éléments de créativité.
Les régions de l’arc méditerranéen devront relever à brève échéance d’importants défis d’ordre géostratégiques :
·
Les régions de la Méditerranée
latine, qui ont déjà exploité l’effet de proximité à des fins commerciales,
verront augmenter les échanges grâce à la monnaie unique. Ainsi, de l’avis des
experts, les entreprises seront désormais en concurrence sur le marché
européenn sans être gênées par les interférences des fluctuations du taux de
change, et les échanges se concentront dans les régions les mieux situées sur
le plan des conditions de travail et de la productivité.
Les
entreprises et les activités seront donc attirées par les régions offrant les
meilleures conditions de travail. Dans ce contexte, les régions de la
Méditerranée latine pourront exploiter et renforcer leur principal atout, à
savoir la qualité de vie et l’environnement. Cela étant, des occasions seront
peut-être perdues si elles ne flexibilisent pas davantage leur marché du travail
qui, en Espagne comme en Italie, dépend encore excessivement de l’économie
souterraine.
Les
régions de la Méditerranée latine ont tout à gagner à une harmonisation des
politiques fiscales et sociales au sein de l’Union européenne, en vue de
contrôler les déséquilibres macro-économiques et les divergences entre pays.
·
En ce qui concerne l’espace
régional européen, des changements très importants pour certaines régions de la
Méditerranée latine peuvent internvenir, surtout en ce qui concerne les
critères d’élegibilité pour l’aide financière aux régions accordées par les
fonds structurels et par le fonds de cohésion (Agenda 2000).
Il importe d’attirer l’attention sur deux éventualités : la diminution des
apports aux régions traditionnellement bénéficiaires des fonds communautaires
et la possibilité de voir se perpétuer (dans une plus ou moins grande mesure)
le modèle de régions périphériques qui fondent leur convergence avec l’Europe
sur les aides du Nord. Dans cette perspective, intimement liée à
l’élargissement de l’Europe, les régions de l’espace euroméditerranéen doivent
dès lors envisager la nécessité d’un
développement endogène. Une telle stratégie exige, d’une part, que les
transferts aux régions les moins favorisées ne se traduisent pas par une
diminution de la capacité de croissance de plus avancées et, d’autre part, que
l’effet d’entraînement des régions les mieux placées s’étende à toutes les
autres, de manière à partager les synergies et les bénéficies dérivés du fait
d’appartenir à un même espace. La structure des régions de l’espace latin donne
un caractère méditerranéen à l’Union européenne et promet une période d’échange
actif d’experiences tenant compte des modèles spécifiques de développement et
de modernité promus depuis le sud de l’Europe. Les facteurs de la capacité de
développement endogène existant dans les régions méditerranéennes, à savoir
l’esprit d’entreprise et a la faculté d’adaptation aux nouvelles technologies
et à de nouveaux modes d’organisation, sont les piliers du progrès économique
dans une économie mondiale globalisée.
·
La coopération économique et
sociale avec l’Afrique du Nord est cruciale, car c’est un facteur de
compétitivité pour un espace comme l’arc méditerranéenne. Les migrations ont
marqué une première phase des relations nord-sud en Méditerranée occidentale.
La croissance démographique prévisible dans les pays du Maghreb et la volonté
d’isolement ancrée dans certains secteurs des sociétés de la Méditerranée
latine porte d’entrée naturelle vers l’Europe) peuvent néanmoins retarder les
initiatives de coopération. Un pacte de coopération entre les pays de la
Méditerranée qui abordent conjointement les problèmes de la zone pourrait
contribuer à briser cette tendance au repli des sociétés européennes.
La constitution de la zone de libre-échange ouvre de grandes potentialités en
matière de relations commerciales, techniques et culturelles à’horizon 2010.
Dans ce contexte, les régions de l’arc méditerranéen bénéficient d’une
situation géographique privilégiée pour créer des liens avec les pays du
Maghreb. De grandes espérances sont fondées sur la constitution de cette zone
de libre-échange, dont on attend d’importants bienfaits, mais elle suscite
aussi des préventions, car il pourrait y avoir un impact négatif sur certains
secteurs particulièrement sensibles pour le sud de l’Europe. Il faut souligner
toutefois qu’au sein de cette zone de libre-échange, malgré la proximité et
l’actuelle ouverture économique des pays de la rive sud, certaines
caractéristiques des entreprises méditerranéennes, ainsi que les conditions
économiques, expliquent la faiblesse de l’activité dans cette région. Par
ailleurs, les difficultés rencontrées par les pays du sud de la Méditerranée
dans leur processus de modernisation et de libéralisation de l’économie ont
constitué un obstacle au développement de la coopération économique et des
activités des entreprises de la rive nord de la Méditerranée dans ces pays.
Un cadre d’intervention englobant la Méditerranée tout entière doit être le référent
d’avenir des régions de l’espace latin. Le sud de l’Europe peut jouer un rôle
décisif dans cet espace, surtout en tant que pôle d’attraction vers l’Europe et
centre d’un réseau d’interrelations qui soit le lien entre l’Eurpe elle-même et
l’espace méditerranéen. Dans cette optique, la coopération technologique sera
fondamentale. Si les pays méditerranéens sont proches, les techonologies de
l’information les rapprochent encore plus et ouvrent de nouvelles perspectives
en matière de coopération.
Cependant,
la Méditerranée ne constitue pas uniquement un marché ou une zone de
libre-échange. Ce n’est pas non plus un musée, mais une réalité en marche, un
espace d’échanges de toutes sortes (économiques, politiques techonologiques,
artistiques, etc.) qui doivent lui permettre de réaffirmer ses spécificités et
ses proprs modèles de développement, où la proximité géographique et culturelle
est un plus et instaure un climat de confiance dans les liens établis.
L’espace méditerranéen latin est de toute évidence un espace interrégional qui
unit l’ensemble des pays méditerranéens. Le succès ou la faillite de la
politique méditerranéenne de l’Union dépendra dans une grande mesure de la
capacité des régions d’Espagne, de France et d’Italie à travailler ensemble et
de leur volonté d’agir en ce sens. L’esprit de la latinité peut constituer le
fer de lance d’une Europe placée sous le signe de la diversité, d’une Europe
qui doit impérativement constituer des pôles dynamiques et ouverts,
susceptibles de s’intégrer dans des réseaux plus vastes.
À
l’occasion du cinquième anniversaire de la Conférence de Barcelone, il importe
de relancer la politique euroméditerranéenne, qui s’est vue ralentie ces
dernières années. Je pense qu’il faut en profiter pour travailler à la
consolidation de la politique méditerranéenne de l’Union européenne,
concrètement à partir des accords adoptés dans le cadre du processus de
Barcelone, en cherchant à associer davantage les collectivités territoriales et
l’ensemble de la société civile à cette politique.